Alors que l’inflation fragilise les budgets et que les rythmes de vie s’accélèrent, une question émerge : le versement mensuel du salaire est-il toujours adapté aux besoins actuels des salariés ?
Une majorité semble en douter, appelant à une rémunération plus souple, fractionnée, mieux alignée sur les réalités contemporaines.
Et si la paie en fin de mois n’était plus qu’un héritage dépassé ? C’est la piste que dessinent les récentes études d’opinion. Selon un sondage réalisé par OpinionWay pour la société Stairwage, spécialisée dans le versement à la demande, 63 % des salariés aimeraient pouvoir percevoir leur salaire en plusieurs fois au cours du mois. Le chiffre bondit à 75 % chez les moins de 35 ans, révélant un désir croissant de flexibilité, notamment chez les jeunes actifs. Cette tendance traduit une volonté de mieux adapter le rythme des revenus aux charges du quotidien, souvent imprévisibles, surtout en période d’inflation et de tensions budgétaires.
Une transition sociale bien plus qu’un simple outil
Yann Le Floch, fondateur de Stairwage, insiste sur l’ampleur du phénomène. À ses yeux, cette demande croissante de souplesse n’est pas qu’un ajustement technique : c’est un changement de paradigme. « C’est une évolution sociale majeure », affirme-t-il dans les colonnes du Parisien. L’idée de pouvoir toucher une partie de son salaire déjà gagné, quand le besoin s’en fait sentir, séduit de plus en plus dans un monde où imprévus et dépenses urgentes sont devenus la norme. Des entreprises comme Rosaly, Spayr ou NessPay se positionnent sur ce créneau, en facilitant l’accès instantané à une rémunération partielle.
Une norme ancienne face à un monde nouveau
La mensualisation, instaurée dans les années 1970 par Georges Pompidou pour sécuriser les revenus des ouvriers, peine à répondre aux dynamiques actuelles. Bien que le droit à un acompte existe toujours — l’employeur peut verser jusqu’à 50 % du salaire acquis à partir du 15 du mois — ce recours reste marginal en pratique. Le poids administratif et la gêne perçue à faire la demande freinent bon nombre de salariés. C’est dans ce contexte que les solutions numériques prennent le relais, offrant une alternative moderne à un système qui semble figé dans le passé.
La politique s’empare du sujet
Le débat ne se limite plus aux directions des ressources humaines ou aux innovations technologiques. Il entre désormais dans l’arène législative. Jean Laussucq, député parisien du groupe Ensemble, prévoit de redéposer une proposition de loi pour faciliter et élargir l’usage des acomptes. Selon lui, la rémunération ne doit plus se plier à un rythme imposé, mais s’adapter aux besoins réels des travailleurs. Son projet vise notamment à simplifier les démarches administratives et à ouvrir la voie à des versements plus fréquents et plus flexibles.
Vers une rémunération sur mesure
L’objectif n’est pas de supprimer la mensualisation, mais de l’enrichir d’options plus souples et plus accessibles. Le député propose d’autoriser plusieurs acomptes par mois, d’un montant potentiellement inférieur au salaire dû, afin d’éviter les découverts bancaires, dont les frais s’élèvent à plusieurs milliards d’euros chaque année pour les Français. Cette mesure, selon ses défenseurs, pourrait grandement contribuer à améliorer la gestion quotidienne des foyers, notamment ceux aux revenus modestes.
Des propositions concrètes déjà à l’étude
Le député Corentin Le Fur, des Côtes-d’Armor, avait déjà exploré la voie d’une rémunération fractionnée. En octobre 2024, il proposait que le contrat de travail puisse fixer un versement bimensuel, voire hebdomadaire, avec l’accord du salarié. Une mesure qui, si elle venait à se généraliser, permettrait une réconciliation entre le moment où l’on travaille et celui où l’on est payé. Un ajustement simple en apparence, mais qui bouleverserait en profondeur la gestion du temps et du salaire.
Une paie hebdomadaire, sans justification
Dans la version actuelle de la proposition de Jean Laussucq, un salarié pourrait solliciter un acompte le 7, le 14 et le 21 du mois, soit l’équivalent d’une paie hebdomadaire. Et ce, sans avoir à se justifier. Cette mesure vise à lever le tabou autour des finances personnelles au travail. Beaucoup de salariés ignorent qu’ils ont déjà le droit de demander un acompte ou n’osent pas le faire, de peur d’être jugés. En supprimant cette barrière psychologique, le texte entend rendre ce droit effectif et égalitaire.