Derrière les haies impeccables de Highgrove, le jardin rêvé du roi Charles III, se cache une réalité bien moins bucolique. Une enquête du Sunday Times révèle un climat de travail délétère, où les fleurs sont reines mais les jardiniers en souffrance. À la clef : démissions en cascade, management brutal et salaires misérables.
Highgrove House, vaste propriété de 364 hectares dans le Gloucestershire, a longtemps été présentée comme le sanctuaire végétal du roi Charles III. Rosiers anciens, plantes exotiques et lavandes en cascade témoignent de son amour sincère pour le jardinage. Mais, selon une enquête du Sunday Times parue le 20 juillet, ce paradis horticole dissimule une réalité sociale alarmante. Depuis 2022, onze des douze jardiniers permanents ont quitté les lieux, dénonçant des salaires indigents, une pression constante et une ambiance toxique.
Face à cette hémorragie, la King’s Foundation, qui gère le domaine, a dû faire appel à des intérimaires, voire à des bénévoles retraités. Une solution précaire révélatrice de la désorganisation et du mal-être ambiant, d’autant plus choquant que le lieu est supposé incarner la philosophie écologique et bienveillante du monarque.
Un salaire de roi… pour le roi seulement
L’un des points les plus critiqués par les anciens employés concerne la rémunération dérisoire. En 2022, certains touchaient à peine 8,91 livres de l’heure, soit 10,30 euros, un montant à peine supérieur au salaire minimum légal au Royaume-Uni. « C’est comme s’ils nous disaient qu’on devait se sentir honorés de travailler pour le roi », confie l’un des anciens jardiniers au journal britannique.
Une déclaration qui illustre le fossé entre l’image idyllique du lieu et les réalités de terrain. Alors que Highgrove est souvent mis en avant dans des publications royales comme un modèle de biodiversité et de raffinement, les conditions de travail de ceux qui en assurent l’éclat semblent reléguées au second plan.
Charles III, un souverain perfectionniste… jusqu’à la tyrannie ?
Le roi lui-même est au cœur des critiques. Selon les témoignages recueillis, Charles III est un patron pointilleux et imprévisible, qui n’hésite pas à reprendre ses jardiniers sur le moindre détail. Parmi les exemples cités : le retrait immédiat exigé d’un séneçon aperçu près de la piscine, une colère noire face à la disparition d’étiquettes botaniques sur un magnolia favori, ou encore des remontrances virulentes après la coupe prématurée de ses delphiniums, qui auraient « gâché son plus beau moment de l’été ».
Un chef jardinier aurait même été remercié après avoir confondu le nom d’un arbuste japonais. « Sortez cet homme de ma vue », aurait lancé le roi, selon les propos rapportés. Ce style de commandement en dents de scie, entre enthousiasmes fleuris et colères botaniques, serait devenu source d’anxiété permanente pour ses équipes.
Un management sous tension, jusqu’aux cris
Mais le roi n’est pas seul en cause. Son bras droit à Highgrove, Constantine Innemée, est également pointé du doigt pour des méthodes autoritaires, parfois humiliantes. Plusieurs sources affirment qu’il aurait hurlé sur des employés, notamment lorsqu’un jardinier a suggéré l’embauche d’un spécialiste pour les magnolias du roi.
Déjà en 2018, la biographie Rebel Prince de Tom Bower évoquait des pratiques extrêmes au sein des jardins royaux : des jardiniers obligés de s’allonger à plat ventre sur des remorques pour désherber manuellement, ou des retraités militaires reconvertis en chasseurs de limaces à la lampe torche, la nuit, par respect pour l’interdiction royale des pesticides.
Une enquête, des recommandations… et peu de changements
Face à la gravité des accusations, la King’s Foundation a commandé une enquête externe à l’automne 2023. Le rapport a reconnu des pénuries de personnel, des pratiques managériales défaillantes, ainsi qu’un problème récurrent au niveau des salaires. Il a recommandé la mise en place de formations et de dispositifs de soutien psychologique pour les employés.
Mais selon le Sunday Times, les conditions ne se seraient guère améliorées depuis. Le malaise perdure, entre vocations écœurées et atmosphère glaciale, dans un lieu qui continue pourtant d’accueillir visiteurs et mécènes comme un écrin de sérénité royale.