Derrière les cercueils et les fleurs, il y a un univers méconnu : celui du business du deuil. Le livre « Les Charognards », signé par Brianne Huguerre-Cousin et Matthieu Slisse, dévoile les coulisses d’un secteur aussi sensible que lucratif : celui des pompes funèbres françaises dominé par deux géants, OGF et Funecap.
Publié aux éditions du Seuil, « Les Charognards » promet d’explorer les zones d’ombre d’un marché où la douleur devient parfois un levier économique. Les auteurs y dénoncent des pratiques qu’ils jugent déshumanisées, s’attaquant à ce qu’ils nomment l’« industrie du chagrin ». Leur approche rappelle celle de Victor Castanet dans ses révélations sur les Ehpad et les crèches privées.
Le livre, paru à la veille de la Toussaint, a immédiatement provoqué une onde de choc. La Fédération nationale du funéraire (FNF) a dénoncé une « caricature injuste » qui porterait atteinte à des milliers de professionnels. Les auteurs, eux, se défendent de viser les employés du secteur : « Nous parlons des dirigeants et actionnaires de ces empires de la mort », précisent-ils dans leur avant-propos.
Le marketing du deuil : un secteur pas comme les autres
L’enquête met en lumière les techniques commerciales spécifiques au domaine funéraire. Les deux grands groupes, OGF (marque PFG) et Funecap (Roc Eclerc), installent souvent leurs agences près des hôpitaux, là où près d’un Français sur deux décède. Ils gèrent également des maisons funéraires, espaces où reposent les défunts avant les obsèques. Cette proximité logistique leur permet de capter une clientèle souvent en état de choc émotionnel.
Les auteurs rappellent pourtant un principe fondamental : les familles restent libres de choisir n’importe quelle entreprise funéraire, même si le corps du défunt repose dans un établissement géré par un concurrent. Une nuance essentielle souvent méconnue des proches endeuillés.
Des pratiques commerciales sous le feu des critiques
Certaines méthodes décrites dans le livre interrogent. Parmi elles, l’ajout de services non essentiels dans les devis, parfois sans explication claire. Le cas d’une prestation baptisée « service courriers et formalités après obsèques » (facturée 299 € chez OGF) est cité : elle aurait été intégrée d’office à certains contrats. L’entreprise nie ces accusations et affirme que seuls 16 % des clients souscrivent effectivement à ce service, preuve qu’il ne serait pas imposé.
Funecap, de son côté, réfute également toute vente forcée. Les deux sociétés assurent respecter scrupuleusement la réglementation, évoquant des cas isolés ou mal interprétés. Mais l’enquête évoque une pression commerciale réelle dans un marché où chaque contrat représente plusieurs milliers d’euros.
Les assurances obsèques : un dispositif à double tranchant
Autre sujet sensible : celui des assurances obsèques, présentées comme une solution de prévoyance mais souvent coûteuse. Près de 500 000 Français y ont recours. Selon le livre, un assuré versant environ 6 500 à 7 000 € au total ne récupère qu’une couverture de 5 000 € pour ses funérailles. Les auteurs s’appuient sur une étude de 60 millions de consommateurs qui souligne la rentabilité discutable de ces produits.
Les journalistes rappellent aussi que la loi autorise déjà les familles à prélever directement sur le compte du défunt pour financer les funérailles, dans la limite de 5 000 €. Les assurances apparaissent alors redondantes, voire inutiles, d’autant que certaines familles ignorent parfois l’existence d’un tel contrat.
Des coûts d’obsèques en hausse constante
Aujourd’hui, organiser des obsèques en France coûte en moyenne entre 4 000 et 5 000 €, une somme qui a augmenté ces dernières années. L’inflation, le coût de l’énergie et l’évolution des pratiques expliquent cette tendance. De plus en plus de familles préfèrent les chambres funéraires au domicile, une option plus confortable mais facturée plusieurs centaines d’euros supplémentaires.
Les auteurs soulignent aussi la course à la rentabilité des deux géants du secteur. OGF affiche un bénéfice équivalant à 5,6 % de son chiffre d’affaires, selon leurs sources. Funecap, plus discret sur ses comptes, ne publie pas ses résultats, tandis que la FNF évalue le bénéfice moyen à 7 % pour l’ensemble de la profession. Cependant, certains crématoriums gérés en délégation peuvent atteindre des marges dépassant 30 %, selon le livre.
Quand l’argent s’invite dans le deuil
Au-delà des chiffres, « Les Charognards » met en lumière un malaise : la frontière fragile entre rentabilité et décence. Les auteurs relatent des incidents rares mais marquants — échanges de corps, erreurs d’identification, problèmes de crémation — qui jettent une ombre sur une profession habituellement discrète et respectée.
Les entreprises mises en cause se défendent fermement. Funecap affirme avoir traité chaque incident avec « transparence et respect des familles », en renforçant ses protocoles. OGF, pour sa part, insiste : « Ce livre ne reflète pas la réalité d’un métier strictement encadré et contrôlé », rappelant que plus de 90 % des familles se déclarent satisfaites des services funéraires en France.
Un débat nécessaire sur l’éthique du funéraire
Au final, « Les Charognards » ne se contente pas de dénoncer : il ouvre un débat de fond sur la moralité économique entourant la mort. Jusqu’où peut-on monétiser le deuil ? Où s’arrête le service légitime et où commence l’abus de confiance ? Ces questions, longtemps tues, trouvent désormais un écho public à la veille de la Toussaint, moment symbolique où la France se souvient de ses morts.