La pauvreté atteint des sommets inédits en France : en 2023, près d’un Français sur six vivait sous le seuil de pauvreté. Une explosion silencieuse que les associations ne cessent de dénoncer, pointant du doigt l’insuffisance des réponses politiques face à une précarité galopante.
En un an, la pauvreté monétaire a gagné près d’un point, atteignant 15,4 % de la population, un niveau jamais observé depuis la création de cet indicateur en 1996. Concrètement, 9,8 millions de personnes vivaient en 2023 avec moins de 1 288 euros par mois, soit 60 % du revenu médian. L’Insee estime que 650 000 personnes supplémentaires ont basculé dans la pauvreté en seulement douze mois, conséquence directe d’une conjoncture socio-économique défavorable, marquée par la fin d’un certain nombre d’aides publiques exceptionnelles.
L’arrêt brutal des aides : une bascule fatale
Pour les experts, l’une des principales explications réside dans l’arrêt des soutiens ponctuels mis en place en 2022, comme l’indemnité inflation ou la prime de rentrée exceptionnelle. Ces dispositifs avaient temporairement freiné la montée de la précarité, notamment chez les foyers modestes. « Cette hausse s’explique essentiellement par la disparition de ces aides », confirme Michel Duée, responsable à l’Insee. Par ailleurs, une augmentation du nombre de micro-entrepreneurs aux revenus modestes parmi les non-salariés aggrave la situation.
Les inégalités se creusent dangereusement
La hausse de la pauvreté s’accompagne d’un élargissement préoccupant des inégalités de revenus. Tandis que les foyers les plus modestes voient leur niveau de vie progresser moins vite que l’inflation, les plus aisés bénéficient d’une embellie, portée par l’emploi et le rendement des placements financiers. Pour l’Insee, « les inégalités atteignent des niveaux parmi les plus élevés depuis trente ans », signe d’un écart de plus en plus flagrant entre le haut et le bas de l’échelle sociale.
Des profils vulnérables toujours plus touchés
Les populations les plus fragiles restent les premières victimes de cette dégradation sociale. Les familles monoparentales enregistrent une hausse brutale de leur taux de pauvreté (+2,9 points), tandis que les personnes au chômage voient également leur situation s’aggraver (+0,8 point). Les retraités, en revanche, sont partiellement épargnés grâce à la revalorisation du minimum contributif liée à la réforme des retraites, limitant la progression de la pauvreté chez eux à +0,3 point.
Un terrain social sous tension
Pour les associations, ces chiffres sont tout sauf une surprise. Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, alerte sur « une montée très forte des expulsions locatives, des coupures d’électricité et de gaz, et une hausse alarmante des ménages déclarant avoir froid chez eux ». La précarité énergétique, les loyers impayés et la saturation des services sociaux illustrent un quotidien de plus en plus difficile pour des millions de Français.
L’inaction politique pointée du doigt
Les ONG dénoncent une politique publique trop timide, centrée sur des aides ponctuelles plutôt que des réformes de fond. Delphine Rouilleault, présidente du collectif Alerte, salue l’ambition affichée par François Bayrou, qui a évoqué un objectif de réduction de la pauvreté à dix ans. Mais elle s’interroge : « Avec quels moyens ? » Pour elle, l’urgence exige des mesures structurelles concrètes : hausse des minimas sociaux, investissements massifs dans le logement, réforme de la fiscalité… « L’heure n’est plus aux promesses, mais à l’action », avertit-elle.