L’affaire qui frappe aujourd’hui Jordan Bardella met en lumière les zones d’ombre d’un parcours jusque-là présenté comme exemplaire.

Derrière l’ascension spectaculaire du président du Rassemblement national se dessine un système de formation financé par l’argent européen, dont l’usage réel soulève de lourds soupçons politiques et éthiques.
En quelques années, Jordan Bardella est devenu le visage le plus exposé du RN, cumulant un mandat d’eurodéputé depuis 2019 et la présidence du parti depuis 2022. Cette trajectoire, largement soutenue par une communication forte et une image parfaitement calibrée, se voit aujourd’hui fragilisée par une enquête du Canard enchaîné. Le média satirique révèle un recours massif à des fonds européens pour financer un système de coaching destiné à renforcer sa présence médiatique, bien au-delà du cadre de son mandat parlementaire.
133 300 euros pour un media training : un financement qui interroge

Selon l’enquête, Bardella aurait bénéficié d’un media training intensif assuré par la société de Pascal Humeau, ancien journaliste. Entre 2019 et 2021, ce dernier aurait perçu 133 300 euros pour accompagner Bardella et d’autres membres du RN. Cette somme, jugée particulièrement élevée, a immédiatement éveillé les soupçons, d’autant que tout contrat dépassant 60 000 euros doit faire l’objet d’un appel d’offres strict, comme l’impose le Parlement européen.
Or, d’après Le Canard, le délai de candidature aurait été prolongé pour permettre à la société d’Humeau d’être sélectionnée, malgré l’absence d’un critère obligatoire : les trois années d’ancienneté exigées. Cet aménagement inhabituel questionne la transparence du processus.
Une utilisation détournée des fonds européens
Les documents cités montrent que Bardella aurait multiplié les séances de coaching au moment précis où il prenait la tête du RN par intérim, en septembre 2021. L’objectif semblait alors moins lié à son activité européenne qu’à sa montée en puissance interne.
Plus surprenant encore : Humeau lui-même aurait décrit pendant des années Bardella comme une “coquille vide”, missionné pour le transformer, selon ses mots, en « facho sympa », comme il l’affirmait dans Complément d’enquête début 2024. Ces propos, aujourd’hui replacés dans le contexte du financement européen, prennent une résonance nouvelle et particulièrement embarrassante.
Une prestation destinée à la campagne Le Pen plutôt qu’à Bruxelles

D’après Le Canard enchaîné, les séances servaient « principalement à préparer Bardella pour la communication du RN pendant la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2022, et non à parler de l’actualité européenne ».
Autrement dit, des fonds européens auraient financé une préparation électorale nationale, un usage normalement prohibé. Ce point constitue le cœur de la polémique, car il remet en cause le respect des règles d’utilisation de l’argent public européen.
Un appel d’offres jugé “bidon” et un parti déjà sous pression judiciaire
Le groupe Identité et Démocratie, auquel appartient le RN, est montré du doigt pour un appel d’offres suspect, façonné pour favoriser le choix d’Humeau. Selon l’enquête, Bardella lui-même aurait suggéré le nom du prestataire, posant un sérieux problème de neutralité.
Le montant total laisse imaginer un nombre de séances inhabituel : un media training classique oscillant entre 1 500 et 3 000 euros la journée, les 133 300 euros facturés supposent un dispositif d’ampleur exceptionnelle. Ce contraste alimente encore davantage la suspicion.
Un parti déjà fragilisé par l’affaire des assistants parlementaires
Ces révélations surviennent alors que le RN traverse une période judiciaire lourde. Le 31 mars, Marine Le Pen a été condamnée à quatre ans de prison dont deux avec sursis, 100 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité dans l’affaire des assistants parlementaires européens. La justice estime que 2,9 millions d’euros auraient été détournés entre 2004 et 2016.
L’affaire Bardella s’ajoute ainsi à une série de procédures qui plombent la crédibilité du parti en matière de gestion de fonds publics.










