Trois ans déjà. Ce 22 octobre marque un anniversaire politique rare en Italie : Giorgia Meloni fête ses trois années à la tête du gouvernement, un record de stabilité dans un pays habitué aux crises à répétition.
Entre prudence stratégique, virage pragmatique et absence de grandes réformes, la cheffe de Fratelli d’Italia s’impose comme un paradoxe politique : solide, mais sans véritable cap.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2022, Giorgia Meloni a su déjouer les pronostics. Beaucoup la redoutaient comme une dirigeante trop radicale pour durer, mais elle a choisi la continuité plutôt que la rupture. Ancienne eurosceptique, elle s’est muée en partenaire fiable de Bruxelles et de l’Otan, soutenant fermement l’Ukraine et défendant les intérêts économiques de la péninsule.
Les observateurs saluent cette stratégie d’apaisement : « Elle a fait exactement l’inverse de ce qu’elle promettait pendant sa campagne », résume le journaliste Paolo Levi. Une posture qui lui a permis d’éviter les tempêtes politiques qui ont emporté ses prédécesseurs.
Une gestion sans éclat, mais sans crise
Sous son mandat, l’Italie a connu une stabilité économique inattendue : la Bourse a doublé de valeur, le chômage est passé sous les 6 %, et le déficit public s’allège. Ces résultats tiennent toutefois davantage aux réformes engagées par les gouvernements précédents qu’à de nouvelles initiatives. « Elle récolte les fruits d’une décennie d’efforts », note Paolo Levi, « mais sans véritablement semer pour l’avenir ».
Giorgia Meloni s’est surtout gardée de bouleverser l’équilibre économique et social, poursuivant les réformes de Mario Draghi, notamment sur les retraites et la rigueur budgétaire. Cette approche prudente rassure les marchés, mais laisse planer une impression de politique « en pilotage automatique ».
Une gouvernance sans projet structurant
Si la cheffe du gouvernement a gagné en crédibilité, les économistes dénoncent l’absence de vision à long terme. Francesco Saraceno (OFCE) critique une « politique sans cap clair », manquant d’ambition pour la transition écologique, l’innovation et la relance industrielle.
La suppression de certaines aides emblématiques — comme le revenu de citoyenneté ou le super bonus énergétique — illustre, selon lui, une volonté d’austérité plus qu’une stratégie de réforme. « Elle a stabilisé le pays, mais sans lui donner une direction. Une fois le plan européen terminé, il n’y a plus de moteur. »
L’échec symbolique du plan migratoire albanais
Sur le terrain migratoire, Giorgia Meloni a voulu marquer sa différence avec ses prédécesseurs. Mais son projet de transfert de demandeurs d’asile vers l’Albanie s’est soldé par un revers : les centres sont restés vides, et la justice européenne a jugé le dispositif contraire au droit international.
Ce fiasco, coûteux et critiqué, est considéré comme son plus grand échec politique. Ironie du sort : celle qui promettait de “fermer les frontières” a finalement autorisé l’arrivée de 500 000 travailleurs étrangers pour soutenir l’économie italienne, confrontée à une grave pénurie de main-d’œuvre.
Une droite apaisée, recentrée et populaire
Malgré ces limites, Giorgia Meloni conserve près de 30 % des intentions de vote, un score historique pour une dirigeante issue d’un parti post-fasciste. « Elle ne fascine pas, mais elle rassure », résume Beniamino Morante. Sa simplicité de ton et son style direct lui permettent de maintenir un lien fort avec l’opinion.
Politiquement, elle a su transformer Fratelli d’Italia en une force de centre droit solide, héritière de la stabilité berlusconienne, mais débarrassée de ses excès. Pour le politologue Jean-Pierre Darnis, « elle a repris le flambeau de la droite italienne tout en se repositionnant au centre ».