À l’Assemblée nationale, ce 14 octobre 2025, le ton est donné : Sébastien Lecornu, fraîchement reconduit à Matignon, a dévoilé son discours de politique générale.
Dans un contexte politique explosif, entre menaces de censure et divisions internes, le Premier ministre a tenté de reprendre la main en annonçant la suspension de la réforme des retraites et une série de mesures économiques qui redessinent les priorités du gouvernement.
Dès le début de son discours, le Premier ministre a voulu rompre avec le style habituel des déclarations de politique générale, privilégiant un ton direct, tourné vers “l’action et le dialogue”. Lecornu a insisté sur la “nécessité d’agir sans attendre”, évoquant les urgences sanitaires, environnementales et économiques. Il a rappelé sa volonté de gouverner “sans 49.3”, promettant un débat ouvert sur les grandes réformes à venir, notamment le budget et la question sensible des retraites.
La réforme des retraites suspendue jusqu’en 2028
C’était l’annonce la plus attendue du jour. Sébastien Lecornu a officiellement annoncé la suspension de la réforme des retraites de 2023 jusqu’à l’élection présidentielle de 2028. “Aucun relèvement de l’âge ne sera appliqué à partir de maintenant jusqu’à janvier 2028”, a-t-il déclaré, sous les applaudissements d’une partie de l’hémicycle, notamment du camp socialiste. La durée d’assurance restera fixée à 170 trimestres sur la même période.
Une “conférence sur les retraites et le travail” sera organisée dans les prochains mois pour aborder les sujets de la pénibilité, des carrières longues et de l’attractivité des métiers essentiels. Lecornu entend faire de cette suspension une “pause utile”, destinée à restaurer la confiance entre les partenaires sociaux et les parlementaires.
Un budget 2026 sous le signe de la rigueur et du rééquilibrage
Sur le plan économique, le Premier ministre a défendu un budget de “responsabilité et d’équilibre”, prévoyant environ 30 milliards d’euros d’économies — loin des 44 milliards envisagés sous François Bayrou. Ces économies reposent sur deux leviers : 17 milliards de réduction de dépenses publiques et 14 milliards de recettes supplémentaires, principalement via de nouvelles contributions ciblées. “Les dépenses de l’État baisseront en 2026, sauf pour la dette et la défense”, a-t-il précisé, annonçant une hausse de 6,7 milliards d’euros pour le budget militaire.
L’exécutif écarte l’idée d’une taxe Zucman sur les grandes fortunes, mais introduit une taxe sur les holdings patrimoniales, visant les stratégies de contournement de l’impôt par capitalisation de revenus non distribués. Cette mesure devrait rapporter environ 1,5 milliard d’euros. Par ailleurs, la contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises sera prolongée d’un an, tout comme la surtaxe différentielle sur les hauts revenus.
Une “année blanche” et des sacrifices partagés
Lecornu a confirmé la “période de gel” proposée par son prédécesseur François Bayrou : aucune revalorisation des retraites de base ni des prestations sociales en 2026. L’objectif, selon le gouvernement, est de maîtriser l’inflation et de contenir le déficit public. Toutefois, cette mesure est accompagnée d’un remplacement de l’abattement de 10 % sur les pensions par un abattement fixe de 2 000 euros, favorisant les retraités modestes.
Côté fiscalité, le Premier ministre envisage également un gel du barème de l’impôt sur le revenu, qui rapporterait près de 2 milliards d’euros supplémentaires à l’État. Une décision controversée, car elle ferait mécaniquement augmenter les impôts pour une partie des ménages.
Réactions contrastées dans l’hémicycle
Les interventions des groupes politiques ont rapidement mis en lumière la fracture persistante du paysage parlementaire.
Laurent Wauquiez (LR) a refusé toute motion de censure, estimant que “la France a besoin d’un minimum de stabilité et d’un budget”. Tout en taclant le gouvernement, il a rappelé que son camp se concentrerait sur la réduction des dépenses et la valorisation du travail : “Ce n’est pas aux Français de faire des efforts, mais à l’État de lutter contre la dépense improductive.”
PUBLICITÉ:Cyrielle Chatelain (écologistes) a, quant à elle, annoncé que son groupe “ira à la censure”, jugeant le discours “insuffisant” et trop éloigné des enjeux climatiques.
Marc Fesneau (MoDem) a défendu le gouvernement, dénonçant “les agents de la déstabilisation” de la NUPES et du RN : “On n’a jamais tort d’avoir raison trop tôt.”
Du côté du Rassemblement national et de La France insoumise, les motions de censure sont prêtes, dans un climat de tension palpable.
Lecornu, un funambule politique
Ce discours marque un virage prudent et pragmatique. Sébastien Lecornu tente de se poser en Premier ministre du compromis, capable de ménager une majorité relative et de rassurer l’opinion publique. Sa décision de suspendre la réforme des retraites pourrait désamorcer temporairement la colère sociale, mais la fragilité de son “socle parlementaire” demeure un obstacle majeur.