Ils sont peu nombreux, mais leur situation pourrait devenir emblématique d’un basculement du système de santé. Les médecins dits de « secteur 3 », déjà marginalisés par l’Assurance maladie, se retrouvent désormais directement visés par une mesure budgétaire aux conséquences lourdes pour leurs patients.

Ils ne sont que 1 124 médecins, selon le syndicat SM3, sur les quelque 108 000 praticiens libéraux que compte la France. Ces professionnels exercent en « secteur 3 », c’est-à-dire hors convention avec la Sécurité sociale. En échange d’une liberté tarifaire et organisationnelle plus large, leurs patients ne bénéficient aujourd’hui que d’un remboursement symbolique des consultations, compris entre 0,61 € et 1,22 €. Une situation déjà marginale, qui pourrait devenir explosive.
Un déremboursement programmé des prescriptions
Le tournant intervient avec l’adoption définitive du budget de la Sécurité sociale, le 16 décembre 2025. L’article 26 bis prévoit le déremboursement total des prescriptions émises par les médecins de secteur 3 à compter du 1er janvier 2027. Concrètement, médicaments, soins infirmiers ou matériel médical prescrits par ces praticiens ne seraient plus pris en charge pour les patients, pourtant cotisants obligatoires du régime général.

À l’origine, le projet de loi allait plus loin. Il prévoyait également une taxation des dépassements d’honoraires des médecins de secteur 2, sur la base d’un rapport parlementaire visant à limiter les pratiques tarifaires jugées excessives. Cet aspect a finalement été retiré. Reste une mesure concentrée exclusivement sur les médecins les plus éloignés de la tutelle de l’Assurance maladie, perçue par les syndicats comme une sanction politique.
« Une rupture d’égalité », dénoncent les syndicats
La réaction ne s’est pas fait attendre. « Dérembourser les soins prescrits à un patient cotisant est aussi injuste qu’injustifiable », s’insurge le syndicat UFML. Selon lui, la mesure introduit une rupture manifeste de l’égalité de traitement entre assurés sociaux. Une ligne rouge qui ravive la menace d’un déconventionnement massif, régulièrement brandie dans les rapports déjà tendus entre médecins libéraux et Assurance maladie.
Qui sont réellement les médecins de secteur 3 ?

Contrairement aux idées reçues, près de la moitié sont des généralistes, les autres exerçant soit des pratiques dites « à exercice particulier », soit des spécialités reconnues comme la dermatologie, la psychiatrie, l’ophtalmologie ou la chirurgie plastique. Le secteur esthétique ne représenterait qu’un quart des effectifs, selon le Dr Kamyar Dadsetan, président du syndicat SM3. Il affirme également que 60 % de ces médecins exercent en zones sous-dotées, là où l’offre médicale est déjà fragile.
Pour certains praticiens, la convention ne permet tout simplement pas de couvrir la réalité de leur travail. La Dr Caroline Journel, généraliste spécialisée en gérontologie, explique proposer des bilans complets, longs et complexes, impossibles à faire entrer dans les grilles tarifaires classiques. « Si mes prescriptions ne sont plus remboursées, cela ne sera plus possible », alerte-t-elle, soulignant que ce sont avant tout les patients âgés et fragiles qui en subiront les conséquences.
Une médecine à deux vitesses assumée ?
Les défenseurs du secteur 3 renversent l’accusation. Pour eux, la véritable médecine à deux vitesses naît précisément du déremboursement des prescriptions, et non de la liberté tarifaire. Une position qui alimente le débat sur l’équilibre entre régulation publique et autonomie médicale, dans un système déjà sous tension.
Le syndicat SM3 l’annonce clairement : le Conseil constitutionnel sera saisi. L’argument central reposera sur l’inégalité de traitement entre assurés sociaux, selon le médecin prescripteur consulté. « Nous nous y préparons depuis un an », assure le Dr Dadsetan, convaincu que le texte est juridiquement fragile.
La date d’entrée en vigueur, fixée au 1er janvier 2027, laisse un temps d’adaptation. Mais peu de médecins de secteur 3 envisagent de rentrer dans le rang, selon leur syndicat. Certains évoquent un passage au salariat, d’autres un départ à l’étranger, voire une reconversion. Une fuite silencieuse des compétences, qui pourrait accentuer encore les déserts médicaux.










