Ils étaient deux figures inclassables d’une France qui doutait mais osait : Coluche, le trublion provocateur au grand cœur, et Renaud, le poète énervé des trottoirs.
Leur amitié, faite de coups d’éclats, de frictions et de fraternité, a marqué une époque révoltée et tendre. Retour sur une complicité singulière.
Coluche et Renaud ont incarné, chacun à leur manière, la contestation des années 80, une décennie marquée par les luttes sociales et le cynisme politique. L’un, Michel Colucci, s’est imposé comme l’humoriste à l’ironie mordante, capable de faire rire en dénonçant. L’autre, Renaud Séchan, chanteur à la verve populaire, posait ses mots comme des pavés dans la mare. Ils ne se cherchaient pas, mais ils se sont trouvés — presque malgré eux.
Une disparition brutale et une nation en deuil
Le 19 juin 1986, Coluche perd la vie dans un accident de moto, sur une route escarpée des Alpes-Maritimes. Sans casque, il percute de plein fouet un camion. Il avait 41 ans. Sa mort, aussi soudaine que choquante, sème le trouble : l’accident semble trop brutal, trop absurde, pour ne pas nourrir les soupçons. Des théories d’assassinat circulent, nourries par sa notoriété, ses prises de position politiques, et son franc-parler.
Même près de 40 ans plus tard, en 2025, la version officielle reste celle d’un accident, malgré les investigations journalistiques et les rumeurs persistantes. Mais au-delà des spéculations, c’est surtout l’émotion qui reste. Celle d’un peuple orphelin d’un bouffon magnifique, d’un fondateur des Restos du Cœur, et d’un homme libre.
Renaud, de la pellicule au micro
Avant d’être la voix rauque de toute une génération, Renaud a brièvement côtoyé le monde du cinéma. Dès l’âge de trois ans, il apparaît dans Le Ballon rouge, court-métrage devenu culte. Mais c’est bien dans la chanson qu’il trouve sa vraie scène. Influencé par les grands de la littérature et les petites gens de la rue, il s’impose avec des titres comme Hexagone, Marche à l’ombre ou Mistral gagnant.
Dans les années 80, il devient l’un des porte-drapeaux d’une France à fleur de peau, rageuse et romantique. Il chante les marginaux, les oubliés, les révoltés. Et en 1988, il sort Putain de camion, un hommage bouleversant à Coluche, deux ans après sa disparition. Ce titre, parmi les plus intimes de sa carrière, scelle une amitié tardive mais profonde.
Une rencontre d’abord explosive
Mais cette amitié n’a pas toujours été une évidence. Lorsqu’ils se croisent pour la première fois, au début des années 80, la rencontre est électrique. Coluche ne cache pas son antipathie pour ce chanteur « à l’air de petit con », comme le rapporte l’auteur Erwan d’Éléouet dans Renaud, paradis perdu. Renaud, lui, entre presque par effraction dans le cercle de l’humoriste, par l’intermédiaire de Dominique Lanvin, épouse de Gérard Lanvin, ami intime de Coluche.
La méfiance est palpable. Coluche reproche à Dominique de s’éloigner de son mari, son complice de toujours, et voit Renaud comme un intrus. Mais derrière la rudesse des mots, une forme de loyauté brute : celle d’un homme protecteur envers son clan. Peu à peu, la glace se brise, les caractères s’apprivoisent. Et ce qui n’était qu’une collision devient un lien.
Une amitié marquée par la tendresse et le chagrin
Renaud devient plus qu’un ami : il est le parrain de Lolita, la fille de Coluche, preuve que la relation a évolué bien au-delà des premières impressions. Leur complicité se nourrit d’un respect mutuel et d’un amour commun pour les causes populaires. Ensemble, ils partagent cette volonté de secouer les puissants, d’amuser sans trahir, de défendre sans se trahir.
La mort de Coluche laisse chez Renaud une cicatrice indélébile. La chanson Putain de camion n’est pas seulement un hommage : c’est un cri de douleur, une élégie rageuse, une preuve d’amitié qui dépasse les mots. Avec ses mots râpeux, Renaud confesse une peine qu’il ne sait pas toujours dire autrement.