Il a su faire lire la France avec passion, rigueur et élégance. Bernard Pivot, figure emblématique du paysage littéraire et télévisuel, s’est éteint à 89 ans, laissant derrière lui une œuvre immense, une voix reconnaissable entre toutes, et un legs intellectuel d’une rare richesse. Un homme de lettres devenu un passeur d’émotions et de savoir.
Avant de devenir l’icône télévisuelle que la France a tant aimée, Bernard Pivot s’est d’abord illustré dans la presse écrite et radiophonique. Dans les années 1970 et 1980, il est chroniqueur sur RTL et Europe 1, apportant chaque semaine un regard affûté et chaleureux sur le monde des livres. Son ton, toujours accessible mais jamais simpliste, séduit un large public. C’est cependant la télévision qui fera de lui un nom incontournable, d’abord grâce à Apostrophes, lancée en 1975 sur Antenne 2, puis avec Bouillon de culture dans les années 1990. Deux émissions devenues cultes, à l’origine de nombreux 7 d’or, qui ont redéfini le rapport entre le grand public et la littérature.
L’ambassadeur de la littérature française
Bernard Pivot n’était pas seulement un animateur : il était un amoureux des mots, un artisan du verbe et un défenseur acharné de la langue française. En rejoignant l’Académie Goncourt, il s’est inscrit dans la tradition des grandes plumes qui promeuvent la littérature avec exigence et bienveillance. À travers ses choix éditoriaux et ses interventions publiques, il a toujours privilégié l’intelligence, la curiosité et le goût de la transmission. Cette mission de passeur, il l’a assumée jusqu’au bout, y compris dans ses dernières années, malgré la fatigue et l’ombre de la maladie.
Un dernier geste de mémoire et de transmission
Conscient de l’importance de son parcours, Bernard Pivot a choisi en 2021 de transmettre son patrimoine intellectuel à l’Imec, l’Institut mémoires de l’édition contemporaine, situé près de Caen. Un geste profondément symbolique, posé trois ans avant sa disparition. Sa fille confiait en 2024 au Parisien que malgré une perte d’autonomie progressive, son père « ne s’est jamais plaint » et « ne cessait de remercier ses proches ». Même diminué, il a tenu à organiser la sauvegarde de son œuvre, preuve d’un attachement viscéral à la mémoire et au savoir.
Un trésor en 24 cartons
Les archives de Bernard Pivot, désormais conservées à l’abbaye d’Ardenne, se composent de 24 cartons minutieusement classés, contenant des photographies, des manuscrits, des coupures de presse, mais aussi des correspondances personnelles et professionnelles. Parmi les documents les plus précieux figure une note dactylographiée présentant son idée de l’émission Apostrophes, avec une formulation déjà limpide : « Projet pour un magazine d’actualité lié aux livres diffusé en direct sur la deuxième chaîne couleur ». Un instantané de créativité pure, devenu un jalon de l’histoire télévisuelle française.
Un héritage vivant et accessible
L’héritage de Bernard Pivot n’est pas destiné à dormir dans des archives poussiéreuses. Les documents déposés à l’Imec sont consultables par les chercheurs, les étudiants, les réalisateurs, les historiens, et plus largement par tous ceux qui souhaitent explorer la fabrique d’une émission culturelle d’anthologie. Ce legs n’a pas de prix : il est le reflet d’une vie dédiée à l’intelligence, à la clarté, au partage. Bernard Pivot ne disparaît pas : il entre pleinement dans la mémoire collective, dans ce lieu de silence et d’étude où son œuvre continuera à parler à ceux qui aiment les livres.