Des milliards de colis en provenance de Chine inondent chaque année le marché européen, porteurs d’aubaines mais aussi de risques graves pour la santé publique et l’environnement.
Alors que des plateformes comme Temu et Shein séduisent par leurs prix cassés, la qualité et la sécurité des produits vendus suscitent une vive inquiétude chez les experts.
En 2024, ce sont près de 4,6 milliards de colis d’une valeur inférieure à 150 euros qui ont franchi les frontières européennes. Cela représente en moyenne 145 paquets… chaque seconde. D’après les données relayées par le Journal of Pediatric Surgery et analysées par le BEUC, 91 % de ces envois proviennent de Chine, principalement des géants du e-commerce Temu et Shein. Ces volumes faramineux posent une double problématique : écologique, d’une part, en raison des émissions massives liées au transport, et sanitaire d’autre part, du fait de la qualité douteuse de nombreux produits.
Des produits largement non conformes aux normes européennes
Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), qui regroupe 43 associations, a conduit une étude alarmante. Sur plus de 200 produits testés sur la plateforme Temu — jouets, appareils électriques, cosmétiques, articles de cuisine — 81 % ne respectaient pas la législation européenne. « Ce sont des catégories pour lesquelles les normes de sécurité sont très strictes, ce qui augmente le risque de non-conformité », souligne Sébastien Pant, porte-parole du BEUC. Certains objets auraient même dû être retirés de la vente immédiatement.
Risques chimiques, mécaniques et thermiques
Parmi les cas les plus préoccupants figure un jouet en plastique contenant jusqu’à 240 fois la dose légale de phtalates, des substances reconnues comme perturbateurs endocriniens. D’autres objets, comme une chenille en bois, se sont révélés dangereux pour les nourrissons, avec des pièces facilement détachables et donc susceptibles d’être ingérées. Un simple œil en plastique peut devenir un piège mortel pour un enfant.
Les anomalies ne s’arrêtent pas là. Un radiateur électrique vendu des milliers de fois au Royaume-Uni présentait un risque manifeste d’incendie et d’explosion, tant sa fabrication était défectueuse. L’étiquette mensongère de certains cosmétiques n’est pas en reste : un produit estampillé « sans silicone » contenait en réalité cet ingrédient, soulignant un manque flagrant de traçabilité.
Une faille dans le système d’importation
Comment ces produits parviennent-ils à entrer en Europe malgré des normes strictes ? Le modèle de Temu repose sur la livraison directe depuis la Chine vers le consommateur, court-circuitant ainsi tout importateur ou contrôleur. « On outrepasse complètement les lois », déplore le BEUC. En l’absence d’intermédiaires, aucun contrôle n’est effectué avant que le produit n’arrive chez l’acheteur.
Face à ce vide réglementaire, les associations réclament une meilleure traçabilité et des mesures douanières renforcées. Mais l’ampleur du phénomène rend la tâche titanesque. Pour pallier ce défi, le gouvernement français a annoncé la mise en place de “frais de gestion” dès 2026 sur chaque colis entrant, une première réponse pour freiner ce flux non contrôlé.
Shein : les mêmes dangers sous couvert de mode
Autre acteur majeur de ce commerce : Shein. Spécialisée dans le prêt-à-porter ultra bon marché, la plateforme a été épinglée à de nombreuses reprises. Des analyses ont révélé des concentrations illégales de plomb, de nickel et de phtalates dans des chaussures, sacs ou ceintures. Certains vêtements dégagent même une odeur chimique tenace, que des experts attribuent potentiellement à l’épandage de pesticides dans les conteneurs.
Yann Rivoallan, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin, confirme l’ampleur du problème. Si Shein a depuis engagé quelques améliorations, notamment après avoir été pointée du doigt par Greenpeace en 2021, la prolifération de ses articles empêche un contrôle systématique. En 2022, la marque a mis sur le marché 315 000 nouveaux produits, contre à peine 6 850 pour une enseigne déjà très productive comme Zara.
Une industrie aux lourds impacts environnementaux
Shein incarne l’ultra fast-fashion dans ce qu’elle a de plus excessif. Produire des centaines de milliers de références par an implique des cadences effrénées et une pollution colossale. La fabrication d’un simple jean, par exemple, requiert jusqu’à 8 000 litres d’eau. Ce modèle est totalement incompatible avec les objectifs environnementaux actuels.
Pour Yann Rivoallan, le problème dépasse la simple responsabilité du consommateur. « Dire à quelqu’un de ne pas acheter, alors qu’il voit des prix défiant toute concurrence, c’est lui demander de renoncer à son droit d’achat. C’est à l’État d’agir pour encadrer et limiter ces dérives. » Car à long terme, c’est toute une chaîne de production, de consommation et de réglementation qu’il faut repenser.
Ces plateformes, en apparence inoffensives, abritent un risque systémique : pour la sécurité des consommateurs, pour la planète, et pour l’équité des marchés européens. Le combat ne fait que commencer, et il se joue à la frontière entre législation, surveillance douanière, et volonté politique.