Alors que les paiements par carte dépassent désormais ceux en espèces, une mutation discrète mais profonde s’opère dans les habitudes financières des Français. Pour autant, l’accès au cash demeure un enjeu central, notamment pour les territoires les plus isolés.
Pour la première fois en 2024, les paiements par carte ont surpassé ceux en liquide, représentant 48 % des transactions contre 43 % pour les espèces, selon la Banque de France. Une bascule historique, révélatrice de l’évolution des usages. Si les espèces restent privilégiées pour les petits montants du quotidien — marchés, boulangeries, etc. — leur part s’est effondrée de 25 points en huit ans.
Ce recul ne signifie pas leur disparition. En dépit du progrès du numérique, près de 60 % des Français demeurent attachés à la possibilité de régler en espèces, qu’ils considèrent comme une liberté fondamentale. Cependant, cet attachement se heurte à un problème croissant : l’accessibilité physique aux billets.
Moins de distributeurs, plus de difficultés
Le nombre de distributeurs automatiques de billets (DAB) ne cesse de diminuer. En 2023, 2 000 distributeurs ont été retirés du territoire, soit une baisse d’un sur six en cinq ans. Ce phénomène frappe surtout les zones rurales, rendant l’accès à l’argent liquide plus difficile.
Pour y remédier, des solutions alternatives émergent : certains commerçants permettent désormais des retraits d’espèces directement en caisse. Ces points de distribution privatifs étaient jusqu’ici limités aux clients de quelques banques (Crédit Agricole, Crédit Mutuel, La Banque Postale, Nickel). Mais dès 2026, tous les détenteurs de cartes bancaires CB pourront y avoir accès, quel que soit leur établissement.
Une mesure d’ouverture saluée
Cette généralisation des retraits chez les commerçants est saluée par le GIE Carte Bancaire comme une manière de « parfaire » l’accès aux espèces sans remplacer les DAB. Le dispositif restera volontaire, et ne transformera pas les magasins en guichets bancaires. Déjà, plus de 6 000 établissements sont concernés.
En parallèle, la Banque de France rappelle que 99 % de la population vit à moins de 15 minutes d’un automate, mais seulement 18,7 % des communes disposent d’au moins un DAB, contre près de 25 % qui proposent des retraits privatisés.
Une offensive politique contre le liquide
Sur un autre plan, Gérald Darmanin a récemment plaidé pour la fin progressive du cash, évoquant son rôle dans la délinquance financière et le trafic de drogue. « Une mesure simple pour faire disparaître les points de deal ? Supprimer l’argent liquide », déclarait-il devant la commission d’enquête du Sénat.
Le ministre s’appuie sur des études montrant que l’usage du cash devient marginal dans plusieurs pays européens. Pourtant, cette orientation soulève de vives critiques : qu’adviendrait-il en cas de panne réseau ou pour les publics éloignés du numérique ?
Entre modernisation et prudence
L’exemple nordique montre que même les sociétés les plus digitalisées ne peuvent se passer totalement du liquide. En Norvège ou au Danemark, les gouvernements incitent à son abandon, mais maintiennent son accès pour des raisons de sécurité et d’inclusion.
En France, la tendance est claire : le cash recule, mais les autorités prennent soin de garantir une alternative sécurisée, souple, et accessible à tous. Car si la modernisation est une évidence, l’extinction totale du billet, elle, demeure encore hors de portée.