Alors que le tatouage est devenu un phénomène de société touchant près d’un Français sur cinq, les professionnels historiques du secteur, à l’image de Tin-Tin, dénoncent un bouleversement inquiétant. Multiplication des tatoueurs, absence de régulation, dévalorisation du métier : le célèbre tatoueur tire la sonnette d’alarme.
Il y a trente ans, le tatouage restait une pratique marginale, réservée à quelques initiés, exercée par environ 300 professionnels sur le territoire. Aujourd’hui, ils seraient entre 15 000 et 20 000 selon le Syndicat national des artistes tatoueurs (SNAT). Ce chiffre illustre un essor spectaculaire du secteur… mais pas nécessairement à son avantage. « Trop de tatoueurs tue le tatouage », alerte Tin-Tin, figure emblématique du milieu et président du SNAT.
Selon lui, la profession est victime d’un effet de masse qui sature le marché, détruit les équilibres économiques et compromet la qualité des prestations. Dans sa propre boutique, il ne reste plus que deux salariés, contre huit ou neuf il y a encore quelques années. Et ce constat, affirme-t-il, est partagé par ses confrères partout en France.
La démocratisation du métier pointée du doigt
Pour Tin-Tin, le cœur du problème réside dans l’extrême facilité d’accès à la profession. Là où il fallait autrefois des années d’apprentissage, la maîtrise du matériel, des techniques d’hygiène et un réel talent de dessinateur, aujourd’hui il suffirait de « deux tutos internet » pour se proclamer tatoueur. Une dérive qui banalise le métier et, surtout, crée une génération de tatoueurs auto-proclamés, parfois sans aucune formation, ni infrastructure déclarée.
Le savoir-faire artisanal se perd au profit d’un copier-coller numérique, déplore-t-il. « On prend un dessin sur Pinterest, on le duplique et c’est fini », résume-t-il avec amertume. Le métier d’artiste tatoueur, ancré dans la créativité et la technique, est aujourd’hui vidé de sa substance, selon lui.
Des pratiques concurrentielles jugées déloyales
Le contraste est flagrant entre les professionnels installés, soumis à des charges lourdes, et les nouveaux venus qui opèrent depuis des studios privés ou à domicile sans les mêmes contraintes fiscales ou réglementaires. « On paye des loyers, l’Urssaf, du matériel de qualité… Pendant que d’autres tatouent sans être déclarés, à prix cassés, et sans filet », regrette Tin-Tin.
Cette situation crée une concurrence jugée déloyale, qui pousse les anciens à fermer boutique, faute de rentabilité. Le secteur se précarise et le savoir-faire traditionnel recule, faute de protection institutionnelle.
L’appel à la régulation : 25 ans de lutte ignorée
Ce n’est pas la première fois que les professionnels du tatouage demandent l’instauration de normes officielles. Tin-Tin confie que le SNAT milite depuis 25 ans pour une régulation sérieuse de la profession, en vain. « On n’attend plus grand-chose des pouvoirs publics. Tout le monde s’en fout », lâche-t-il, amer.
Le manque de normes favorise les pratiques à la limite de la légalité, met en danger la santé publique, et contribue à la dégradation de l’image du métier. Les tentatives de dialogue avec les autorités sont restées lettres mortes, malgré une clientèle de plus en plus nombreuse et exposée à des risques sanitaires.
Un attachement fort aux professionnels “à l’ancienne”
Du côté des clients, certains restent fidèles aux artisans historiques. Karine, une habituée, témoigne au micro de RMC : « Le père de mon fils s’est fait tatouer par Tin-Tin il y a 30 ans, il n’a jamais eu à le retoucher ». En revanche, elle regrette un tatouage bon marché réalisé en vacances et mal exécuté. Son fils, aujourd’hui tenté par un tatoueur repéré sur TikTok, se heurte à son refus catégorique : elle exige un professionnel reconnu, même plus cher.
Ce clivage générationnel reflète un changement culturel, mais aussi une perte de confiance croissante vis-à-vis d’un marché perçu comme anarchique.
Un avenir incertain pour un art en perte de repères
Aujourd’hui, le tatouage est pris entre deux mondes : celui des passionnés exigeants, défenseurs d’un artisanat exigeant, et celui d’un marché dérégulé où le tatouage devient produit de consommation immédiate. Tin-Tin, figure pionnière, incarne le dernier rempart contre une déprofessionnalisation rampante, dans un secteur devenu victime de son propre succès.