Dans un coin paisible de Perpignan, le drame silencieux d’un couple de retraités bouleverse les lignes de la solidarité familiale.
Vingt ans après avoir mis leur maison au nom de leur fille adoptive, Yves et son épouse risquent aujourd’hui l’expulsion. Entre dette morale, désespoir et procédure judiciaire, leur histoire met en lumière les failles du lien filial quand il est confronté à la précarité.
En 2002, Yves et son épouse décident, par prudence, d’acheter leur maison au nom de leur fille adoptive. À l’époque, le couple craint une éventuelle saisie judiciaire liée à leur fragilité financière. Une décision pensée comme une protection, mais qui se retourne aujourd’hui contre eux. Car cette fille, aujourd’hui adulte et propriétaire légale du bien, souhaite vendre la maison pour sortir de sa propre précarité, quitte à en expulser ses parents de 85 et 87 ans.
Une vie dédiée à l’accueil, aujourd’hui menacée
Yves, ancien contrôleur de salles de cinéma, et son épouse, ancienne assistante maternelle, ont consacré leur vie à accueillir des enfants placés par la DDASS. Vingt-neuf enfants sont passés par leur foyer, et c’est au terme de ce long parcours qu’ils adoptent une fillette, devenue leur unique héritière. Cette même fille qui les assigne aujourd’hui en justice, estimant que ses parents « vivent à ses frais » dans une maison qu’elle est pourtant loin d’avoir financée.
Une justice implacable malgré l’attachement.
Condamnés en 2021 à payer les taxes foncières impayées et à laisser les visites se dérouler en vue de la vente, Yves et sa femme vivent désormais avec la peur de l’expulsion. Leur tentative de recours a été rejetée par la cour d’appel de Montpellier en mars 2025 : ils sont légalement des « occupants sans droit ni titre ». En avril, un huissier leur annonce la sentence : deux mois pour quitter les lieux. Une date butoir fixée au 2 juin, synonyme d’un possible arrachement brutal à leur quotidien.
La souffrance d’un couple usé
Le couple, dont les revenus mensuels ne dépassent pas 1 800 euros, ne peut plus faire face aux charges de la maison, encore moins à un déménagement ou à une nouvelle installation. La femme d’Yves, gravement malade, vit alitée depuis trois ans dans un lit médicalisé. Pour eux, quitter ce lieu reviendrait à tout perdre : repères, dignité, souvenirs. « C’est nous qui l’avons payée, cette maison… On n’a pas à nous jeter dehors comme des chiens », confie Yves avec amertume au journal L’Indépendant.
Une ultime lueur d’espoir : l’action pour « ingratitude »
Dans un dernier recours juridique, le couple pourrait demander l’annulation de la donation pour cause d’ingratitude, une procédure rarement invoquée mais juridiquement recevable lorsque le donataire manque gravement à ses devoirs. Car au-delà des règles de propriété, la question morale se pose avec une acuité poignante : la fille doit-elle faire primer son intérêt personnel sur la mémoire et les sacrifices de ses parents ?
Une affaire révélatrice de tensions sociales profondes
Ce cas déchirant interpelle par sa résonance universelle : jusqu’où peut aller la loyauté filiale ? Que reste-t-il des valeurs d’accueil, de sacrifice et de transmission lorsqu’elles se heurtent à la dureté du droit et à l’implacabilité du besoin économique ? Yves et son épouse ne réclament pas un traitement de faveur, seulement le droit de vieillir en paix, dans la maison qu’ils considèrent comme la leur. Comme le dit si sobrement Yves : « De toute façon, on ne va pas vivre vingt ans de plus. Il suffit d’attendre un peu. »