Sous ses airs paisibles de banlieue américaine, un simple différend de voisinage s’est transformé en tragédie. En juin 2023, en Floride, Susan Lorincz, sexagénaire autoproclamée “voisine idéale”, tire à travers sa porte sur Ajike Owens, une mère de famille noire venue réclamer des explications.

Susan Lorincz, 60 ans, se décrit comme une retraitée calme, attentionnée, irréprochable. Pourtant, dans son quartier du comté de Marion, en Floride, elle est redoutée autant qu’exaspérante. Les enfants du voisinage, tous noirs, la surnomment “la dame qui appelle toujours les flics”. Bruits, jeux, cris : le moindre écart déclenche chez elle une plainte, un appel à la police, une tension de plus.
Mais le 22 juin 2023, tout bascule. Ajike Owens, mère de quatre enfants, frappe à la porte de Susan pour lui demander d’arrêter ses dénonciations incessantes. De l’autre côté, la “voisine idéale” dégaine une arme et tire à travers la porte. Ajike s’effondre. Elle ne se relèvera pas.
Un film immersif, sans voix off ni artifice
Le documentaire signé Geeta Gandbhir, primé au Sundance Festival 2025, se distingue par son approche radicalement réaliste. Pas d’interviews, pas de reconstitutions, pas de musique dramatique. Seulement les images captées par les caméras corporelles des policiers, à chaque intervention de Susan Lorincz, depuis ses premières plaintes jusqu’à la tragédie finale.
Ce choix confère au film un réalisme brutal, presque insoutenable. On y découvre une routine policière devenue absurde : agents fatigués d’intervenir pour rien, voisins excédés, enfants apeurés, et au centre, une femme enfermée dans son propre ressentiment, persuadée d’être la victime d’un environnement hostile.
Le déni jusqu’à l’absurde

Dans une séquence sidérante, la caméra filme l’interrogatoire de Susan Lorincz après le drame. Dans sa cellule, la sexagénaire nie, s’énerve, refuse de coopérer. “Je suis la voisine idéale, je ne ferais jamais de mal à personne”, répète-t-elle inlassablement, incapable d’admettre l’horreur de son geste. Trois enquêteurs tentent en vain de lui faire comprendre la gravité de ses actes. La scène, ubuesque et glaçante, incarne tout le paradoxe de cette tragédie : la violence se cache derrière une façade de normalité.
La loi “Stand Your Ground”, au cœur du scandale
Au-delà du fait divers, le film expose les dérives d’une loi controversée : la “Stand Your Ground”, adoptée en Floride en 2005. Ce texte autorise tout citoyen à faire usage de la force létale dès lors qu’il estime être menacé, même lorsqu’il aurait pu fuir sans danger.
Dans les États où elle est appliquée, le nombre d’homicides a explosé, notamment dans des affaires impliquant des personnes de couleur. En invoquant cette loi, Susan Lorincz a tenté de justifier son geste, se présentant comme une femme “prise de peur”. Une défense qui renvoie à un schéma tristement connu : celui d’un privilège légal qui, sous couvert d’autodéfense, légitime la peur raciale.
Un documentaire coup de poing sur l’Amérique fracturée
Avec La Voisine idéale, Netflix signe bien plus qu’un documentaire criminel : un miroir de l’Amérique contemporaine, où se mêlent racisme latent, paranoïa sécuritaire et dérives législatives. Le film ne cherche pas à expliquer l’inexplicable, mais à montrer sans fard la mécanique de la haine ordinaire : un appel de trop, une peur irrationnelle, une balle, et quatre orphelins.










