Alors que le système de retraites français s’enlise dans l’impasse politique, les données économiques tracent une réalité implacable : notre modèle par répartition, héritage d’après-guerre, est au bord de la rupture.
Et le silence sur les réformes structurelles à mener pourrait bien coûter cher à toute une génération. Créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le système de retraite par répartition repose sur un principe simple : les actifs d’aujourd’hui financent les pensions des retraités d’aujourd’hui. Mais ce modèle, emblématique de la solidarité nationale, est aujourd’hui en péril, gangrené par une démographie défavorable et des choix politiques qui ont négligé les signaux d’alerte. En 2025, le déficit prévisionnel atteint 6 milliards d’euros, selon la Cour des comptes. Et le gouffre pourrait s’élargir dramatiquement : 470 milliards d’euros de déficit cumulé sont attendus d’ici 2045, un chiffre que certains experts jugent encore en deçà de la réalité.
Jean-Pascal Beaufret, ancien inspecteur des finances, va plus loin encore : il estime à 80 milliards le déficit pour la seule année 2034, preuve selon lui que les projections officielles sont gravement sous-évaluées. L’urgence est donc manifeste, mais l’inaction persiste.
Le poids du vieillissement et les erreurs du passé
Le principal facteur d’effondrement est démographique. Alors qu’on comptait 4 cotisants pour un retraité dans les années 1970, on en recense aujourd’hui à peine 1,7. La natalité chute, l’espérance de vie grimpe, et les équilibres volent en éclats. Les gouvernements successifs n’ont pas su anticiper cette évolution pourtant prévisible. Pire, certaines décisions ont creusé la faille, comme la fameuse réforme de 1982 abaissant l’âge légal de départ à 60 ans, symbole d’un volontarisme social devenu, avec le temps, un tabou électoral.
Cet âge de départ cristallise encore aujourd’hui tous les blocages politiques. Il est devenu un marqueur idéologique, intouchable pour beaucoup, même au prix d’une mise en péril du système tout entier.
Une solidarité intergénérationnelle fragilisée
L’autre pilier du modèle, la solidarité entre générations, est lui aussi mis à rude épreuve. Désormais, près d’un tiers du salaire brut d’un actif est prélevé pour financer les pensions, un effort considérable dans un contexte de stagnation salariale, de précarisation de l’emploi et de hausse du coût de la vie.
Dans le même temps, les retraités détiennent une part croissante du patrimoine national, avec un niveau de vie souvent supérieur à celui des jeunes actifs. Cette concentration alimente une profonde remise en question de la justice du système, et fait naître une tension générationnelle que les politiques peinent à désamorcer.
Des sujets tabous qui minent le débat
Malgré ce constat alarmant, deux sujets majeurs restent tabous dans le débat public : l’âge de départ à la retraite et la répartition des efforts entre générations. Les responsables politiques, toutes tendances confondues, hésitent à s’y attaquer frontalement, de peur d’en payer le prix électoral.
Or, l’absence de courage politique devient, elle-même, un facteur de crise. Chaque année sans réforme alourdit la facture, repoussant sur les épaules des jeunes générations le poids d’un système qui craque de toutes parts. Le récent échec du conclave sur les retraites et les menaces de censure au Parlement illustrent l’impuissance de l’appareil politique face à un sujet explosif mais incontournable.
Faut-il redéfinir la promesse sociale ?
Le modèle par répartition est-il encore tenable tel qu’il a été conçu ? Peut-on continuer à promettre une pension digne à tous, sans hausse de l’âge de départ, sans réforme des cotisations, ni remise à plat des avantages spécifiques ? Sans une réponse claire à ces questions, c’est la légitimité même du pacte social français qui vacille.
En refusant de regarder en face ces réalités, la classe politique entretient une illusion de stabilité, alors même que les fondations sont déjà lézardées. Il ne s’agit plus de savoir s’il faut réformer, mais comment et avec quel degré de responsabilité partagée.