Alors que la culture et l’éducation se trouvent souvent au croisement de la politique et de l’idéologie, l’école de cinéma Kourtrajmé Marseille fait les frais d’un affrontement bien contemporain : celui autour de l’écriture inclusive.
La suppression d’une subvention régionale met en lumière les tensions entre innovation pédagogique et conservatisme linguistique.
L’école marseillaise Kourtrajmé, fondée pour offrir une formation gratuite aux jeunes issus de milieux précaires, ne recevra finalement pas les 75 000 euros promis par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur pour les années 2025 et 2026. Une volte-face inattendue, d’autant plus surprenante qu’une convention de financement avait déjà été validée. Le revirement a été notifié par courrier électronique dès le lendemain d’une session plénière du conseil régional, sans préavis ni concertation.
L’écriture inclusive, déclencheur d’une rupture politique
Selon la directrice de l’école, Marie Antonelle Joubert, la décision a été motivée par l’usage de l’écriture inclusive dans les supports de communication de l’établissement. Bien que l’équipe ait été informée que cette écriture devait être évitée dans les documents administratifs adressés à la Région, elle ne s’attendait pas à ce que cette exigence s’étende à l’ensemble des supports internes. « Jamais nous n’aurions imaginé qu’ils imposent de la supprimer dans les documents qui ne les concernent pas », confie-t-elle avec stupeur.
Une ligne idéologique assumée par Renaud Muselier
Le président de la Région Paca, Renaud Muselier, n’a jamais caché son opposition frontale à l’écriture inclusive. En 2023 déjà, la Région avait adopté une motion présentée par le Rassemblement national visant explicitement à bannir ce type d’écriture de toute communication liée aux financements publics. Cette politique a été réaffirmée en avril 2024 à travers le plan « Trajectoires Valeurs », dont l’un des engagements majeurs est sans ambiguïté : « Stop à l’écriture inclusive dans les demandes de subventions ».
Pour Renaud Muselier, ce combat s’inscrit dans une démarche plus vaste de préservation de l’unité linguistique. Il évoque une volonté de rejeter « les doctrines de division » comme le wokisme ou le négationnisme, qu’il associe — à tort ou à dessein — à l’écriture inclusive, accusée de complexifier inutilement la langue et de semer la confusion.
La réaction enthousiaste du Rassemblement national
La décision de couper les fonds à Kourtrajmé n’a pas tardé à être saluée par le Rassemblement national. Sur le réseau social X, le parti d’extrême droite s’est félicité de cette mesure dans des termes triomphalistes : « Victoire : Renaud Muselier abandonne sa subvention à l’école Kourtrajme à Marseille ! ». Une prise de position qui a profondément irrité Marie Antonelle Joubert. Pour elle, ces prises de bec idéologiques nuisent à la mission première de son établissement : ouvrir les portes de l’audiovisuel à des jeunes souvent exclus des circuits classiques.
Un paradoxe entre ambitions culturelles et décisions politiques
L’école rappelle que la région Paca ambitionne de devenir un territoire d’excellence pour la production cinématographique, entre le rayonnement du Festival de Cannes et la présence de grandes séries comme « Plus belle la vie » ou « Emily in Paris ». Pourtant, elle sanctionne une structure qui y contribue activement. « Ils nous financent pour nos innovations pédagogiques, et sur ce critère, nous sommes les meilleurs », insiste la directrice.
Une résistance assumée malgré les contraintes
Face à cette situation, Kourtrajmé ne compte pas céder aux pressions. Pas question de réécrire toute la communication institutionnelle dans un langage épuré de toute forme inclusive, surtout en l’absence de moyens financiers et humains pour le faire. « Va-t-on bientôt me demander d’effacer les femmes cameramen sur les photos ? », ironise amèrement Marie Antonelle Joubert.
Même si l’école assure pouvoir compenser ce manque à gagner en sollicitant davantage ses autres partenaires — notamment des mécènes privés et le CNC —, la perte de cette subvention aura un impact direct sur une vingtaine de stagiaires actuellement en parcours d’insertion. Ces jeunes, parmi les plus vulnérables, voient ainsi leur avenir conditionné à des débats linguistiques dont ils ne sont ni les instigateurs ni les arbitres.