Dans une maison modeste de Perpignan, un couple octogénaire fait face à une expulsion imminente, sur fond de querelle familiale, de fragilité médicale et d’un imbroglio juridique. À l’heure où la procédure touche à son terme, la France s’interroge : jusqu’où le droit peut-il aller contre l’humanité ?
Depuis plus de vingt ans, Yves, 85 ans, et Annick, 87 ans, vivent rue Pierre Auriol à Perpignan, dans une maison qu’ils croyaient être la leur. Pourtant, depuis plusieurs mois, la justice a tranché : ils doivent la quitter. Le 16 juin, la préfecture des Pyrénées-Orientales leur a adressé un nouveau courrier recommandé, exigeant la remise des clés « dans les meilleurs délais ». Et si le couple refuse, la force publique sera mobilisée. Un sort d’autant plus cruel qu’Annick est alitée, clouée dans un lit médicalisé à cause d’une forme sévère de la maladie de Paget.
Une histoire de famille devenue affaire judiciaire
À l’origine de cette expulsion, Valérie, la fille adoptive du couple, qui réclame la vente de la maison. L’affaire prend racine en 2003, lorsque le bien est enregistré à son nom au moment de la signature chez le notaire, sans mention de l’usufruit au profit des parents adoptifs. Depuis 2019, la procédure de vente a été lancée. La justice lui a donné raison, estimant que le titre de propriété lui appartenait légalement.
Mais pour Dominique Chanteau, 49 ans, recueilli par les Jamois dans sa jeunesse, c’est une injustice morale qui se joue : « Ce sont eux qui ont payé la maison, grâce notamment à la vente d’un bien familial », martèle-t-il. Yves et Annick n’avaient pas anticipé qu’en omettant de protéger juridiquement leur droit d’usage, ils se retrouveraient à la rue en fin de vie.
Une situation humaine qui scandalise
Depuis la médiatisation de l’affaire, de nombreux voisins, anonymes et soutiens se mobilisent, choqués par la tournure des événements. L’idée que la police puisse encadrer une ambulance venue évacuer Annick sur son lit médicalisé cristallise les colères. « On est en France, en 2025. On ne va pas mettre une femme de 87 ans à la rue ! », s’indigne leur avocat Me Jean Codognès. Aucune solution de relogement concrète n’a, pour l’heure, été proposée par les autorités.
L’association Habitat et Humanisme a entamé une enquête sociale, tout comme la direction des services sociaux, pour évaluer si un recours à la force est compatible avec l’état de santé des occupants et les obligations morales de l’État. « Une onde de choc politique est à prévoir si l’expulsion devait se faire sans ménagement », prévient Me Codognès.
Une fille adoptive absente, un silence assourdissant
Localisée au Mans, où elle exerce comme voyante, Valérie refuse de s’exprimer publiquement sur l’affaire. Ni elle ni son avocat n’ont répondu aux sollicitations. Pour Dominique Chanteau, cette attitude est incompréhensible : « Elle ne peut pas ignorer ce qu’ils ont fait pour elle. Ils l’ont adoptée à 4 ans, l’ont aimée, protégée, éduquée. Comment peut-on en arriver là ? ». Un silence qui renforce l’indignation suscitée dans l’opinion publique.
Une fin de vie menacée par la froideur administrative
Yves, de son côté, ne baisse pas les bras, mais sa voix est teintée d’épuisement : « Nous n’avons plus la force de déménager. Nous sommes près de l’hôpital. Laissez-nous finir notre vie ici. Après nous, ce sera une autre histoire. » Des mots simples, portés par une dignité poignante, qui soulignent l’absurdité d’une situation où la lettre de la loi écrase l’esprit de justice.
À l’heure où l’État est appelé à faire usage de sa puissance publique, la question cruciale reste en suspens : l’humanité peut-elle s’effacer au nom du droit de propriété, même légitime ? L’affaire des Jamois soulève un débat qui dépasse le cadre d’un conflit familial : celui du traitement réservé aux plus vulnérables dans notre société.