Le magistrat libanais chargé d’enquêter sur l’explosion meurtrière du port de Beyrouth en 2020 a recommencé son travail, a indiqué lundi un responsable judiciaire, après 13 mois de suspension en raison de pressions politiques. « Le juge Tarek Bitar a décidé de reprendre son enquête », a déclaré le responsable à l’AFP.
La recherche des causes de l’explosion, l’une des plus grandes explosions non nucléaires de l’histoire, était bloquée depuis décembre 2021, une série de plaintes contre Bitar ayant entravé son travail. Le responsable a déclaré lundi que Bitar avait ordonné la libération de cinq suspects arrêtés et avait engagé des poursuites contre huit autres.
Abbas Ibrahim, directeur général de la Sûreté générale, et Tony Saliba, chef de la Sûreté de l’État, figurent parmi les personnes inculpées. Shafiq Merhi, ancien chef des douanes libanaises, fait partie des personnes libérées.
En dépit de cette décision surprise, M. Bitar continue de subir d’immenses pressions de la part des politiciens, qui ont déposé des dizaines de plaintes contre lui pour l’obliger à interrompre son enquête.
Plusieurs anciens ministres, dont deux ont fait l’objet d’un mandat d’arrêt après ne pas s’être présentés à l’interrogatoire, figurent parmi ces personnes. « Bitar a mené une étude juridique qui l’a conduit à décider de reprendre ses enquêtes malgré les plaintes déposées contre lui », a déclaré le fonctionnaire.
Le puissant groupe terroriste chiite du Liban, le Hezbollah, avait demandé à plusieurs reprises qu’il démissionne pour cause de partialité politique. Jusqu’à présent, aucun représentant de l’État n’a été tenu responsable de l’explosion, alors que des pays étrangers et des organismes internationaux avaient demandé la reprise de l’enquête.
Interférence politique
La semaine dernière, M. Bitar avait rencontré deux juges français afin de discuter de son enquête, selon ce qu’une source judiciaire avait alors déclaré à l’AFP. Les organismes publics se sont montrés réticents à coopérer avec l’enquête, qui a débuté le même mois que l’explosion.
Le prédécesseur de Bitar comme juge principal a été écarté de l’affaire en février 2021 par un tribunal qui mettait en doute son impartialité car son domicile avait été endommagé lors de l’explosion.
Le parlement a refusé de lever l’immunité accordée aux législateurs, et les demandes de Bitar visant à interroger de hauts responsables de la sécurité ont été rejetées. Le Ministère de l’Intérieur n’a pas non plus donné suite aux mandats d’arrêt délivrés par Bitar, ce qui a encore affaibli sa quête de responsabilité.
Cette explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth a tué plus de 200 personnes et détruit des pans entiers de la capitale. Selon les autorités, des tonnes d’engrais au nitrate d’ammonium stockées au hasard dans un entrepôt du port depuis 2014 avaient pris feu, causant l’explosion.