Quarante ans après sa disparition, Coluche continue d’occuper une place unique dans le cœur des Français.
Comique génial, provocateur visionnaire, homme de conviction, sa vie fut aussi dense que brève. Derrière le clown à salopette se cachait un être tourmenté, dont la trajectoire fulgurante fut stoppée net sur une route de Valbonne.
Né Michel Colucci, Coluche ne se contentait pas de faire rire : il bousculait les codes, moquait le pouvoir et interpellait la société. Avec ses mots crus et son regard acéré, il incarnait la voix des oubliés, des fâchés, des cabossés de la vie. Dès ses premiers sketchs, son humour irrévérencieux frappe juste, dérange, mais surtout fait mouche.
Il s’impose vite dans les médias, puis au cinéma, où son interprétation bouleversante dans Tchao pantin lui vaut le César du meilleur acteur en 1984. Pourtant, derrière le succès, l’artiste peine à canaliser ses démons intérieurs. Drogues, alcool, isolement : le comique populaire devient progressivement un homme au bord du gouffre.
L’humoriste qui voulait secouer la République
En 1981, Coluche crée la surprise en annonçant sa candidature à l’élection présidentielle. Une blague, pensait-on. Mais très vite, les sondages s’emballent : 10 à 12,5 % d’intentions de vote lui sont attribués, signe que son franc-parler séduit bien au-delà des salles de spectacle. Il devient une figure politique malgré lui, à la fois redoutée et moquée par les élites.
Sous pression, victime de menaces à peine voilées, Coluche se retire de la course, mais cette tentative laisse des cicatrices. Il comprend qu’il peut agir autrement, et fonde, en 1985, Les Restos du Cœur. Cette initiative humanitaire, conçue dans l’urgence sociale, s’inscrit durablement dans le paysage français. Encore aujourd’hui, elle sauve des milliers de personnes de la précarité.
Une fin tragique sur les routes du Sud
Le 19 juin 1986, Coluche roule à moto sur une route de Valbonne. Pilote expérimenté, il perd pourtant la vie en percutant un camion de 38 tonnes. Le drame suscite une onde de choc nationale. L’annonce bouleverse la France, et les hommages pleuvent. Renaud lui dédiera une chanson déchirante, Putain de camion, qui entre dans la mémoire collective.
Ce décès brutal, à seulement 41 ans, alimente immédiatement les fantasmes et les rumeurs. Certains y voient un accident tragique, d’autres une conséquence de ses prises de position politiques ou de sa descente aux enfers. Ce qui est certain, c’est que Coluche semblait épuisé, ravagé par les excès, mais encore habité par une rage de vivre intacte.
Les dernières années de Coluche furent marquées par une spirale sombre et destructrice. Le tournage de Tchao pantin, film qui lui demandera un investissement émotionnel intense, agit comme un catalyseur de douleurs enfouies. À cette époque, il consomme régulièrement shit, cocaïne, et noie ses angoisses dans l’alcool.
Son couple n’y survivra pas. Véronique, son épouse, le quitte, incapable de supporter la toxicité de cette période. Agnès Soral, sa partenaire à l’écran, confiait au Figaro : “Coluche était malheureux parce que sa femme l’avait quitté.” Le chanteur Robert Charlebois évoquait en 2023 “un homme drogué, divorcé, esseulé, profondément affecté par l’éloignement de ses enfants.”
Coline Serreau, cinéaste proche du comédien, décrit une situation infernale : “Elle [Véronique Colucci] a vécu l’enfer avec lui.” Ce témoignage, comme d’autres, dévoile le vrai visage d’un homme prisonnier de ses angoisses, malgré les rires qu’il provoquait chaque soir sur scène.