À Pékin, une annonce digne d’un roman d’anticipation a jeté le trouble : la start-up chinoise Kaiwa Technology a présenté son projet de robot humanoïde équipé d’un utérus artificiel, capable de mener une grossesse à terme.
Derrière la promesse d’une révolution médicale, ce prototype attendu pour 2026 soulève d’immenses questions éthiques et sociétales. Présenté lors de la World Robot Conference en août 2025, le projet Kaiwa repose sur un humanoïde à taille réelle doté d’un utérus artificiel inséré dans son abdomen. Le robot embarquerait une poche de liquide amniotique synthétique, des capteurs biométriques et un système de nutrition, simulant l’environnement intra-utérin. Objectif affiché par Zhang Qifeng, fondateur de Kaiwa Technology : s’affranchir totalement du corps humain pour concevoir et porter un enfant. Le coût annoncé – entre 11 000 et 14 000 € – serait très inférieur aux montants atteints par les gestations pour autrui aux États-Unis, estimées entre 100 000 et 200 000 dollars.
Une innovation entre espoir et vertige
Sur le papier, l’initiative pourrait représenter une alternative pour des couples infertiles ou privés d’accès à la GPA. Mais elle bouleverse les repères. À qui appartiendrait l’enfant ? Quelle valeur juridique donner à la machine ? Et surtout, quel rôle symbolique et biologique restera-t-il aux femmes si la grossesse devient un processus externalisé et mécanisé ? Ces interrogations, loin d’être théoriques, alimentent déjà de vifs débats au sein des autorités de la province du Guangdong, où un cadre légal est à l’étude.
Le spectre d’une maternité déshumanisée
Pour de nombreux bioéthiciens, le danger réside dans la perte de sens. « Le choix de donner la vie ne devrait pas appartenir à un algorithme, mais à une conscience responsable », alerte une réflexion citée par India Today. La grossesse n’est pas seulement une fonction biologique : elle est aussi une expérience sensorielle, affective et sociale. La réduire à une mécanique reproductrice reviendrait à nier la dimension humaine de la maternité.
Les craintes féministes et sociales
Les critiques féministes s’élèvent déjà, voyant dans cette innovation une nouvelle étape du contrôle technoscientifique du corps des femmes. Dès les années 1980, des penseuses comme Andrea Dworkin dénonçaient la médicalisation excessive de la grossesse. Aujourd’hui, avec l’utérus artificiel intégré à un robot, c’est l’idée même de la maternité qui risque d’être dépossédée de son lien corporel. Dans un monde où la natalité devient un enjeu économique et démographique, certains redoutent que la femme ne soit reléguée à un rôle secondaire dans le processus de donner la vie.
Une frontière fragile entre prouesse et dystopie
Le projet Kaiwa illustre l’ambivalence des avancées scientifiques. Il pourrait ouvrir des pistes inédites en médecine reproductive, mais menace aussi de transformer radicalement le sens de la filiation. Peut-on déléguer l’acte de porter un enfant à une machine sans bouleverser notre conception de la famille et de l’humanité ? La réponse dépasse les laboratoires : elle engage une réflexion philosophique, juridique et sociale que la Chine, et plus largement le monde, devront aborder sans tarder.