Un simple “bonjour” aura suffi à rallumer les tensions linguistiques qui divisent la Belgique depuis des décennies. L’affaire Ilyass Alba, contrôleur de train devenu malgré lui symbole d’un pays à deux vitesses, montre combien les mots pèsent lourd dès qu’ils franchissent certaines frontières régionales.
Tout commence lors d’un trajet en train à destination de Vilvorde, en Flandre. Ce jour-là, comme à son habitude, Ilyass Alba, chef de bord à la SNCB, adresse un message aux passagers. Il commence en néerlandais — langue officielle de la région traversée — puis enchaîne par un “bonjour” en français, geste de courtoisie qui sera rapidement jugé illégal. Un passager, outré, dépose plainte auprès de la Commission permanente de contrôle linguistique (CPCL).
Motif ? L’usage de la langue de Molière en Flandre, là où seule celle de Vondel doit régner dans les annonces des agents de la SNCB. Une règle strictement encadrée par la loi belge, qui impose des usages linguistiques distincts selon les régions. Et peu importe que ce bonjour ait été dit avec bienveillance.
“Les lois linguistiques sont des lois d’ordre public”, rappelle la CPCL. Même le “sens du client” ne justifie pas d’y déroger.
Un contrôleur populaire face à une rigidité administrative
Ilyass Alba n’est pas un inconnu. Sur les réseaux sociaux, il est suivi par des milliers de personnes pour ses vidéos pleines de bonne humeur, sa passion du métier et ses messages inclusifs. Son émotion est palpable lorsqu’il réagit à la plainte : “Qu’un voyageur porte plainte pour ça, je peux le comprendre… Mais que la Commission lui donne raison ? Franchement, qu’est-ce qu’il se passe dans ce pays ?”
Loin d’une provocation, son message était celui d’un agent fier de son métier et soucieux du confort de tous les passagers. Il déplore un manque d’ouverture d’esprit, dans un pays où les trains eux-mêmes franchissent sans cesse les lignes linguistiques.
“Un train, ça se déplace”, résume-t-il, appelant à dire « Goeiedag Bonjour » à toutes les gares du pays.
Une loi linguistique qui cristallise les tensions belges
Depuis des décennies, la Belgique vit au rythme de ses divisions communautaires. Entre la Wallonie francophone, la Flandre néerlandophone et Bruxelles bilingue, les tensions politiques, économiques et linguistiques sont constantes.
La loi impose à chaque agent public d’utiliser exclusivement la langue de la région dans laquelle il exerce. Résultat : même un mot de trop, fut-il poli, peut valoir un rappel à l’ordre administratif. Une rigueur que certains jugent exagérée, d’autant que la Flandre concentre une grande part de la population multilingue du pays.
L’affaire Alba révèle une fois de plus à quel point la langue reste une ligne rouge dans l’équilibre belge.
Dossier classé, débat relancé
Finalement, la SNCB n’a pas sanctionné son salarié. L’affaire est close administrativement, mais le débat, lui, est bien relancé. Des figures politiques ont exprimé leur soutien au contrôleur, appelant à une réforme de ces lois jugées obsolètes. D’autres, au contraire, défendent une stricte application des règles, au nom de la préservation culturelle.
Sur les réseaux sociaux, les soutiens pleuvent pour Ilyass Alba, vu par beaucoup comme un professionnel bienveillant victime d’un excès de zèle administratif. Son message “vive la Belgique !” sonne alors comme une tentative d’apaisement dans un pays où, décidément, un simple mot peut réveiller une vieille fracture.