Jeudi 19 juin, lors de sa visite au salon du Bourget, Jordan Bardella a saisi l’occasion pour livrer un message aussi symbolique que moqueur : en montant sans difficulté dans un Rafale, l’eurodéputé d’extrême droite a taclé, avec l’aval amusé de Marine Le Pen, un Premier ministre visiblement moins agile, François Bayrou.
Le geste semblait anodin, presque banal dans un salon d’exposition aéronautique, mais il était soigneusement calibré. En s’installant dans le cockpit du Rafale, Jordan Bardella ne cherchait pas seulement à jouer les pilotes d’un jour, il visait à imposer une image : celle d’un dirigeant jeune, alerte, et prêt à prendre les commandes. Et surtout, à se démarquer de François Bayrou, embarrassé quelques jours plus tôt dans la même situation.
« En fait, on sort assez facilement », a-t-il lancé, sourire aux lèvres, une fois redescendu de l’appareil. La pique était transparente, d’autant que Marine Le Pen, présente à ses côtés, n’a pas manqué de jouer le jeu. À peine Bardella avait-il évoqué sa facilité à manœuvrer dans l’appareil, que la présidente des députés RN s’empressait d’ajouter : « Mais oui, mais tu es remarquable », avant de suspendre sa phrase… laissant entendre ce que chacun avait compris : une comparaison directe, et peu flatteuse, avec le chef du gouvernement.
Le Rafale, théâtre d’une rivalité feutrée
Le Premier ministre François Bayrou, âgé de 71 ans, s’était prêté au même exercice quelques jours plus tôt. L’image d’un homme empêtré dans le cockpit, peinant à ressortir, avait aussitôt fait le tour des réseaux sociaux. Sur TikTok comme sur X (ex-Twitter), les vidéos avaient suscité des commentaires sarcastiques, parfois cruels, sur son âge, son manque de souplesse ou sa légitimité à représenter la modernité politique.
Dans ce contexte, la performance de Bardella prend une dimension stratégique. Il ne s’agit plus seulement de visiter un salon international de l’aéronautique, mais de se montrer plus dynamique, plus en phase avec la jeunesse et les attributs du pouvoir exécutif moderne.
Marine Le Pen ne s’y est pas trompée. En déclarant sur le ton de l’ironie : « Je voudrais savoir si mon Premier ministre rentre mieux dans le Rafale que l’actuel », elle endosse pleinement le rôle de faiseuse de roi – ou plutôt de Premier ministre – qu’on lui prête depuis les résultats des dernières élections européennes.
Une mise en scène à la fois moqueuse et politique
Cette mise en scène a tous les ingrédients d’un storytelling politique maîtrisé. Bardella joue de son image de trentenaire en pleine ascension, en opposition à une figure politique plus âgée, perçue comme essoufflée. La scène devient un symbole inversé du pouvoir : le cockpit du Rafale se transforme en test de capacité symbolique à gouverner.
Mais cette ironie appuyée sur le physique et l’âge n’est pas sans risque. À gauche comme au centre, des voix pourraient s’élever pour dénoncer ce qu’elles considéreront comme une méthode « trumpiste » – attaque sur la forme, mise en scène visuelle, humiliation publique – déjà reprochée à Rachida Dati dans ses interventions virulentes, notamment contre Patrick Cohen. Ce qui s’est joué au Bourget n’est pas anecdotique. Dans une époque où la politique se vit autant sur TikTok que dans l’hémicycle, chaque geste, chaque mot, chaque image devient une arme de campagne. Le RN le sait et affine ses stratégies de communication autour de symboles très visuels, susceptibles de viralité.
Bardella ne vise pas seulement la sympathie de l’électorat RN. Il s’adresse aux indécis, aux jeunes électeurs, aux abstentionnistes qui pourraient être séduits par l’image d’un leadership neuf, efficace, « opérationnel » – à l’inverse d’une élite politique jugée fatiguée, voire dépassée. Si le Rafale ne vole que dans le ciel, son cockpit s’est transformé en arène politique. Et Bardella, à travers un simple sourire et une phrase bien placée, a tenté d’en sortir en position de force.