Depuis la démission inattendue de Sébastien Lecornu, le spectre d’une crise politique sans précédent plane sur l’exécutif. Face à une Assemblée nationale paralysée et à un gouvernement introuvable, certains juristes évoquent une hypothèse rarissime : l’activation par Emmanuel Macron de l’article 16 de la Constitution, ce dispositif d’exception qui confère les pleins pouvoirs au président.
La chute éclair de Sébastien Lecornu, survenue le 6 octobre, a créé un séisme institutionnel. En quittant Matignon à peine quelques semaines après sa nomination, l’ancien ministre des Armées a laissé un vide politique majeur, plongeant le pays dans une période d’incertitude sans précédent depuis la Ve République. Selon plusieurs proches, le Premier ministre démissionnaire serait « épuisé » et « atteint moralement » par l’ampleur de la crise.
Cette vacance du pouvoir, combinée à une Assemblée nationale sans majorité stable, ouvre un champ d’interprétation inédit sur la manière dont le chef de l’État pourrait reprendre la main. Certains constitutionnalistes rappellent que l’article 16 de la Constitution, adopté en 1958, pourrait offrir une voie juridique — certes extrême — pour sortir de l’impasse.
L’article 16 : un outil de crise aux accents gaulliens
Conçu par le général de Gaulle, l’article 16 confère au président des pouvoirs exceptionnels “lorsqu’il y a menace grave et immédiate sur les institutions, l’indépendance de la Nation ou l’intégrité du territoire”. En clair, il permet au chef de l’État de gouverner seul, sans l’aval du Parlement, en cumulant pouvoirs exécutif et législatif.
Ce mécanisme n’a été activé qu’une seule fois dans l’histoire, en 1961, lors du putsch des généraux à Alger. À l’époque, la France faisait face à un risque de guerre civile. Depuis, aucun président n’a osé y recourir, tant il symbolise une rupture avec la démocratie parlementaire. Mais sur le plan juridique, il demeure pleinement opérationnel.
Des conditions d’application strictement encadrées
L’activation de l’article 16 n’est pas laissée au seul bon vouloir du président. Avant toute décision, celui-ci doit consulter le Premier ministre, les présidents des deux Chambres et le Conseil constitutionnel. Il lui faut ensuite démontrer publiquement que le “fonctionnement régulier des pouvoirs publics” est interrompu et qu’une menace grave justifie cette mesure.
Autrement dit, Emmanuel Macron ne pourrait y recourir qu’en cas de blocage total de l’appareil d’État ou de crise institutionnelle majeure — deux conditions que certains estiment déjà partiellement réunies. Toutefois, une telle décision bouleverserait l’équilibre républicain et serait perçue comme un aveu d’impuissance face à la situation politique actuelle.
Une « arme atomique » constitutionnelle
Les juristes qualifient souvent l’article 16 d’« arme atomique constitutionnelle ». Une fois déclenché, il permet au président de prendre toutes les mesures nécessaires, sans contre-pouvoir immédiat. Cependant, depuis la réforme de 2008, le Conseil constitutionnel dispose du droit de contrôle : après trente jours, il peut être saisi pour vérifier la légitimité de la prolongation de ces pouvoirs ; et au bout de soixante jours, il peut y mettre fin si les conditions d’exception ne sont plus réunies.
En pratique, le recours à cet article serait une décision politiquement explosive, synonyme de suspension temporaire de la démocratie parlementaire. Emmanuel Macron, déjà accusé d’hyperprésidentialisme, risquerait d’aggraver la défiance de l’opinion publique et de provoquer une crise institutionnelle encore plus profonde.












