Alors que le Rassemblement national tente d’imposer sa stature présidentielle en vue de 2027, une vieille affaire judiciaire rattrape le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella. En remboursant 3,5 millions d’euros au Parlement européen, le RN solde une condamnation… mais voit son ambition budgétaire fragilisée, au moment où il vise l’Élysée.
Le Rassemblement national a finalement commencé à rembourser les sommes réclamées par le Parlement européen, dans le cadre de l’affaire dite des assistants parlementaires. Un premier versement de 1,5 million d’euros a été effectué, sur les 3,5 millions d’euros imposés par le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 31 mars 2025.
Le tribunal a reconnu que des assistants parlementaires européens rémunérés avec des fonds publics avaient en réalité travaillé pour le parti à des fins politiques internes, et non pour le mandat européen de leurs eurodéputés. Une fraude assimilée à un « préjudice économique » de 3,24 millions d’euros, alourdi de 200 000 euros de préjudice moral et d’intérêts à 8 %.
Une stratégie judiciaire pragmatique
Contrairement à ce qu’elle avait laissé entendre, Marine Le Pen n’a pas fait appel pour suspendre le versement, préférant verser une première tranche afin d’éviter une saisie directe par huissiers. Cette stratégie, selon des sources proches du dossier, vise à montrer la bonne foi du RN avant l’audience d’appel à venir.
Dans l’entourage du parti, on parle pourtant de coup dur. Jordan Bardella, président du RN, a dénoncé une « mise à mort financière » orchestrée, selon lui, par un système cherchant à priver le parti de ses moyens. Marine Le Pen, elle, a évoqué « une tentative de neutraliser la démocratie par le porte-monnaie ».
Une menace sur le financement de 2027
Mais au-delà du symbolique, ce remboursement a des conséquences concrètes sur la trésorerie du RN. Le second versement, attendu pour octobre, coïncidera avec le début des préparatifs financiers de la présidentielle de 2027. Kevin Pfeffer, trésorier du parti, confie que l’objectif d’un autofinancement à hauteur de 5 à 6 millions d’euros est compromis. Le reste devra venir d’emprunts, mais trouver une banque française prête à financer le RN reste improbable, selon lui.
La stratégie du RN s’appuyait pourtant jusqu’ici sur une campagne autoportée, grâce aux fonds publics liés aux scores électoraux et à une gestion jugée rigoureuse. Cette affaire redistribue les cartes et pousse le parti à revoir ses ambitions et à se tourner vers d’éventuels prêteurs étrangers ou des levées de fonds ciblées.
Le duel Le Pen–Bardella en toile de fond
En filigrane, cette contrainte financière ravive aussi la question du futur candidat RN pour 2027. Si rien n’est encore tranché officiellement, le parti entretient une ambiguïté stratégique entre Marine Le Pen et Jordan Bardella. Selon le trésorier, les deux bénéficient de soutiens équivalents dans les sondages et seraient en mesure de recueillir les parrainages nécessaires.
Mais cette équivalence théorique ne masque pas les tensions budgétaires réelles : chaque euro dépensé pour solder le passé réduit la capacité du RN à investir dans la bataille présidentielle. D’autant que le procès en appel, s’il aboutissait à une relaxe, obligerait le Parlement européen à rembourser les sommes versées, mais trop tard pour peser sur les choix de financement immédiats.
Au moment où le RN ambitionne de gouverner, cette séquence judiciaire ternit une image soigneusement travaillée de respectabilité financière et de sérieux managérial. Même si le parti choisit de coopérer avec la justice, le coût politique reste palpable : la narration d’un parti persécuté refait surface, mobilisatrice chez ses partisans, mais problématique pour séduire les électeurs indécis. Derrière les apparences de contrôle, c’est une véritable fragilité structurelle qui se dessine : celle d’un parti qui, malgré sa puissance électorale croissante, reste dépendant de décisions judiciaires et de solutions de financement incertaines.